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un film de Romed Wyder

A l’aube d’un conflit sans fin

par Mathieu Loewer

www.lecourrier.ch

«DAWN» Aux commandes d’une solide coproduction internationale, Romed Wyder renvoie Israël à son histoire en disséquant le cas de conscience d’un apprenti terroriste sioniste. Entretien.

Pour son retour sur les écrans après Absolut (2004), Romed Wyder a vu grand: une coproduction inter­nationale au casting cosmopolite de haut vol, tour­née en anglais et en hébreu entre Zurich et Jaffa, d’après une nouvelle d’Elie Wiesel (L’Aube). Sombre huis clos éclairé de quelques flash-backs, Dawn remonte peu avant la création de l’Etat hébreu. Dans la Palestine sous mandat britannique de 1947, des militants sionistes séquestrent un officier anglais pour l’échanger contre un camarade condamné à mort. Chargé d’exécuter l’otage au petit matin si les négociations échouent, le jeune Elisha hésite, confronté à un terrible cas de conscience.

Un an et demi après sa première aux Journées de ­So­leure, ce film à la facture très pro débarque enfin dans les salles. «Mais le sujet est toujours d’actualité», plaisante le ci­néaste haut-valaisan installé à Genève. Car si l’intrigue se focalise sur le dilemme moral à valeur universelle du novice Elisha (la fin justifie-t-elle les moyens?), le contexte renvoie au conflit israélo-palestinien: septante ans plus tard, occupants et «terroristes» ont changé de nationalité. Une mise en perspective historique des plus pertinentes. Rencontre avec Romed Wyder.

Pourquoi dix ans de silence depuis Absolut?

Romed Wyder: J’avais en parallèle d’autres projets qui n’ont pas abouti ou sont encore en gestation, mais Dawn était surtout un film compliqué. Chaque étape a pris plus de temps. Il a fallu obtenir les droits du livre et monter une coproduction internationale. Un producteur fran­çais m’a baladé pendant une année… En Suisse, Samir a im­médiatement perçu le potentiel du film, parce qu’il a une ­vision politique. Et pour tourner les extérieurs en Israël, j’avais besoin d’un producteur sur place. J’ai par ailleurs écrit deux versions du script, puis le scénariste anglais Billy MacKinnon l’a entièrement retravaillé.
Il y avait encore le casting, très important parce que c’est un film d’acteurs. J’ai fait plusieurs voyages en Israël pour rencontrer les comédiens. Rami Heuberger, qui est une star là-bas, a accepté de tenir le plus petit rôle. Nous avons aussi Jason Isaacs, qui a joué dans Harry Potter… Je n’avais jamais travaillé avec un acteur de ce calibre. Avec Joel Basman dans le rôle d’Elisha, il y a même un Suisse!

Le sujet et l’envergure internationale du projet ­surprennent après vos deux premières fictions très ancrées à Genève…

– Il y a une continuité à travers le thème de la résistance: le milieu des squats dans Pas de café, pas de télé, pas de sexe, l’altermondialisme avec Absolut. Chaque film est une aventure dont on ne sait pas trop où elle va vous mener. Les défis ne me font pas peur, mais c’est vrai que là il y en avait beaucoup à la fois! Après, il faut surtout bien s’entourer. J’ai eu la chance d’avoir une équipe très professionnelle et motivée. J’ai aussi découvert la dynamique d’une coproduction internationale. Les gens sont plus ouverts parce qu’ils doivent s’adapter à d’autres manières de travailler et chacun apporte un peu de son expérience.

En abordant un sujet qui renvoie à la question si ­sensible du conflit israélo-palestinien, vous avez veillé à «garder une certaine distance». C’est-à-dire?

– Cette distance m’est naturelle puisque je ne suis pas émotionnellement impliqué dans ce conflit. Les Israéliens ne l’ont pas, comme j’ai pu le constater en discutant avec mes collaborateurs. Et en vivant à Tel Aviv, tu deviens com­me eux! Pour la majorité de la population, les Gazaouis sont juste des terroristes. Le problème vient moins des individus que de la propagande d’Etat, tellement ancrée dans les esprits que seule une minorité est encore capa­ble de distance critique. Mais j’ai aussi des amis qui n’ont pas compris pourquoi je réalisais un film sur des combattants sionistes. Je présente un fait historique qui permet bien sûr plusieurs lectures. Un colon israélien d’extrême droite y verra des héros qui se sont sacrifiés pour Israël.

Dans cette distance, n’y a-t-il pas justement le risque d’un point de vue trop effacé?

– C’est pour cela que j’ai ajouté la séquence documen­taire à la fin (des images d’archives de la création d’Israël à la construction du Mur de séparation, ndlr). Durant toute l’écriture, on s’est demandé s’il fallait la garder. Elle ne figurait pas dans le premier montage que nous avons soumis à un public-test. La plupart des spectateurs n’ont pas fait le lien avec la situation actuelle. Cet épilogue me permet donc de clarifier mon point de vue.

Rappeler aujourd’hui que la création de l’Etat hébreu a été accompagnée d’actes terroristes, n’est-ce pas déjà subversif?

– Oui, je m’en suis rendu compte quand j’ai «pitché» le film en Israël, devant des gens du cinéma qui se considèrent pourtant de gauche. Comme je parlais un peu naïvement de «terroristes» sionistes, on me corrigeait: «Non, ce sont des combattants de la liberté.» A l’époque, tandis que la respectable Agence juive négociait avec les Anglais et l’ONU, des groupes terroristes poursuivaient le même but par les armes. On voit cela partout.

Dans votre note d’intention, vous insistez sur le «besoin d’appartenance» qui va amener Elisha à la lutte armée.

– Elisha, comme Elie Wiesel, a perdu sa famille dans les camps. Lorsqu’on le recrute en lui promettant la paix dans un pays pour les juifs, ça lui parle. C’est un sentiment très humain. Tout dépend ensuite où on tombe… Les jeunes Européens qui rejoignent aujourd’hui le djihad cherchent avant tout une nouvelle famille. Ce besoin d’appartenance est beaucoup plus déterminant que l’aspect idéologique.

La morale du film c’est que la violence engendre la violence. Ce qui laisse peu d’espoir pour l’avenir, non?

– Il faut briser ce cercle vicieux. Le meilleur moyen ­­serait de mettre le passé sur la table. La lecture du conflit de­viendrait plus claire. Hélas, on en est loin. L’expulsion des Palestiniens en 1947 est totalement occultée. Les nou­veaux historiens israéliens qui osent en parler sont con­si­dérés comme des traîtres. Dans son journal, Ben Gourion décrit pourtant le Plan Dalet, comment 500 villages seront attaqués et rasés au bulldozer. Dans la traduction française du journal, ces passages ont disparu… Il y a un immense travail historique à faire avant d’imaginer un jour une solution pacifique. En mars dernier, à un débat au Festival des droits humains de Genève, j’ai demandé à l’ancien pré­sident de la Knesset Avraham Burg quelle était la stra­tégie à long terme d’Israël. Il a avoué qu’il n’y en avait pas. En 1947, face aux groupes armés sionistes, les Anglais disaient déjà: «On ne négocie pas avec les terroristes.»